RÉSISTANCE ARDÈCHE- LE CAMP DES MILLES ET SES GARDIENS ARDÉCHOIS.

Le camp des Milles comme auxiliaire de la relégation des étrangers

03 septembre 1939, la guerre est déclarée contre l’Allemagne. Bien que cela soit vraiment secondaire, la IIIème République s’inquiète de la présence en nombre de citoyens allemands, autrichiens, russes… sur son sol. Ce sont des réfugiés souvent juifs ayant fui les persécutions subies dans leur pays et ayant trouvé un accueil bienveillant, malgré les mots injurieux de la presse française antisémite extrémiste. Sont-ce de potentiels espions ? De possibles dangereux saboteurs ? La Vème colonne prête à frapper un coup de poignard dans le dos de la France accueillante ? Non bien entendu ; personne ne le croit ! Si les Allemands venaient à gagner la guerre, ces réfugiés courraient de nouveau un grand péril ! 

Pourtant, comme cela a été fait avec les Alsaciens-Lorrains lors de la Grande Guerre, la IIIèmeRépublique va rechercher ces hommes, femmes et enfants et les enfermer dans des camps pour les garder à l’œil. Totalement irrationnel mais tout de même bien symptomatique de la xénophobie régnante alors ! Pour le Sud-Est de la France, le maire d’Aix-en-Provence, au nom du préfet des Bouches-du-Rhône, ordonne la réquisition d’une ancienne briqueterie fermée l’année précédente, située près du hameau des Milles, à l’ouest du chef-lieu. Nous sommes le 31 août 1939. Le 09 septembre suivant, arrivent les cinquante premiers dangereux ennemis de la France. Le camp de rassemblement des étrangers des Milles entre en fonction ! 10 000 indésirables y passeront, 27 nationalités et il comptera jusqu’à 3 500 internés, en juin 1940.

Le camp des Milles et ses gardiens ardéchois

Tout d’abord, le camp des Milles, c’était comment ? Pour la presse d’extrême-droite, agréable, presque un lieu de villégiature aux frais des Français ! Pour les internés, c’est comme ailleurs, terrible. Les mêmes problèmes qu’ailleurs, la promiscuité, l’hygiène absente, le froid en hiver et la soif en été, avec pour les Milles, la touche locale : la poussière ! La poussière ocre qui colle à la peau et s’infiltre partout, trace de l’ancienne usine que fut le camp. On mange la poussière, on respire la poussière ! Un seul point positif dans un premier temps : une nourriture convenable bien que peu diversifiée. 

Vue aérienne du hameau des Milles avec, au fond à droite, la cimenterie ayant accueilli le camp de concentration. Carte postale moderne datant des années 1950.

Par chance, dans un premier temps, jusqu’à l’automne 1940, la discipline restera humaine. Ce sont des gars venus d’Ardèche qui vont assurer la garde des Milles. 150 hommes du rang et 30 sous-officiers d’un bataillon d’un régiment de territoriaux arrivent de Privas où ils étaient en garnison. Pour ses nombreux paysans ou quelques artisans, soldats de circonstance, aucune haine envers les internés. Pas de préjugés racistes ou antisémites, une bienveillance relative est de mise. Leur chef de corps, le capitaine Charles Goruchon, est un vétéran de la Grande Guerre. Il a fait Verdun, a été blessé plusieurs fois et a été décoré de la Légion d’Honneur. Il a quitté le modeste magasin de mode de Clamart où il vendait les chapeaux que confectionner son épouse… pour réenfiler une tenue militaire à la Mobilisation Générale. Goruchon, lui, n’est pas Ardéchois.

La figure la plus marquante de la hiérarchie militaire du camp est le lieutenant Pierre Paul Georges Louis Coudène, né à Jaujac le 30 juin 1890. Propriétaire de plusieurs moulinages en Ardèche, à Mayres, Aubenas, entre autres et détenteur d’un brevet industriel, c’est aussi un militant radical-socialiste, deux fois candidat à la députation. Vétéran de la Grande Guerre, son registre matricule indique qu’il a reçu la Croix de Guerre pour des actes de courage et de dévouement à plusieurs reprises, dans le sauvetage de blessés dans le no man’s land.  Il est apprécié de ses hommes comme des détenus pour sa diplomatie, sa tolérance. Il se lie d’amitié avec plusieurs détenus dont le peintre allemand Max Ernst qui lui offrira un dessin, L’œil.

Car on dessine beaucoup aux Milles. Dans le camp sont détenus de nombreux intellectuels qui s’étaient installés sur la Côte d’Azur après avoir fui l’enfer de leurs pays natals. André Fontaine dans son article cité plus bas, a recensé la présence de 52 écrivains, 50 journalistes de la presse écrite et de la radio, 20 scientifiques, 10 musiciens, 9 médecins et donc des peintres de renom, Max Ernst, Max Lingner, Robert Liebknecht, Hans Bellmer, Gustave Ehrlich, Franz Meyer… Une université populaire se met en place avec des cours, des activités artisanales et artistiques. Le soir, les hommes se réunissent aux catacombes, aux katacombes plutôt, des anciens fours, des petites alvéoles de liberté,pour donner des conférences, jouer des spectacles… De nos jours, la visite du camp des Milles fait découvrir les œuvres murales laissées par les artistes. 

Photo extraite du livre Des Indésirables (1999)

Avec la débâcle de l’armée française consécutive à l’attaque allemande du 10 mai 1940 puis la signature de l’armistice du 22 juin suivant, Charles Goruchon décide de transférer une partie des détenus des Milles vers le Sud-Ouest pour éviter qu’ils tombent aux mains des Allemands, arrivés jusqu’en moyenne vallée du Rhône. C’est l’épisode du train-fantôme. Les Milles, Marseille, Arles, Sète pour le premier jour, Toulouse, Tarbes, Lourdes, Pau, Bayonne. Une rumeur annonce l’arrivée imminente des Allemands dans cette ville. Demi-tour et retour vers le Sud-Est jusqu’à Nîmes où les détenus sont admis à Saint-Nicolas, commune de Sainte-Anastasie, après une longue marche. Pendant des arrêts, nombre de prisonniers feront la belle, sous l’œil pas toujours très attentif de leurs surveillants ardéchois. Cette histoire est narrée dans un film de fiction de Sébastien Grall : Les Milles- Le train de la Liberté, sorti dans les salles en 1995. Charles Garuchon y est appelé Perrochon et l’histoire romancée est toutefois relativement conforme à la réalité. 

Quant aux femmes et aux enfants, elles n’ont pas connu le camp des Milles mais étaient retenus dans trois hôtels de Marseille, Bompard, Levant et Terminus des Ports.

Le camp des Milles, première étape de la Solution Finale

C’est à l’automne 1940 que le régime de Vichy va s’intéresser aux camps de concentration et par conséquent à celui des Milles. L’armée française étant dissoute, c’est le ministère de l’Intérieur qui reprend l’affaire. Les militaires ardéchois sont démobilisés en décembre et des civils recrutés spécialement pour cette tâche les remplacent. La discipline se durcit sous les ordres d’une hiérarchie adhérente à la collaboration. 

Le camp des Milles travaille toujours en liaison avec d’autres structures plus petites dans toute la région. Les internés sont régulièrement trimballés d’un camp à un autre, en fonction des besoins en personnel, ici ou là. Parmi les satellites des Milles, on trouve le camp de Loriol dans la Drôme, un local industriel rasé maintenant, près de la zone artisanale des Blaches. Un Mémorial a vu le jour après la disparition du hangar.

Article antisémite particulièrement abject du journal collaborationniste L’Émancipation en date du 25 avril 1942 (origine: Retronews)

A cette époque, le régime de Vichy ferme les yeux sur les départs d’Indésirables vers les Amériques. Des associations caritatives œuvrent dans le camp comme à Marseille, des associations protestantes, des Quakers, juives. En 1941, un sous-marin anglais passe chaque semaine dans une calanque et emporte quinze heureux candidats à l’exil. A Marseille, une association américaine, l’Emergency Rescue Committee, s’occupe clandestinement d’exfiltrer les Juifs… Elle travaille en relation avec le camp des Milles mais est étroite surveillée par les services de police commandés par un ancien officier de marine, Maurice de Rodellec du Porzic. Cette lutte sans merci est racontée dans une série fictionnelle de Netflix Transatlantique, diffusée en 2023. Le collaborateur parvient à faire expulser le journaliste américain Varian Fry puis à faire cesser les activités de l’ERC. Maurice de Rodellec du Porzic, en plus de sa direction de la Police à Marseille, supervisait aussi le camp des Milles.

Au camp des Milles, on doit noter l’œuvre du pasteur Manen qui va se démener pour adoucir les conditions de vie des détenus et permettre le départ de ceux qui le pouvaient. 

En janvier 1942, les Nazis énoncent les principes de la Solution Finale, l’extermination des Juifs, lors de la Conférence de Wannsee présidée par Reinhard Heydrich. Le Régime de Vichy va accepter de collaborer en fournissant des contingents de Juifs pour être envoyés vers les camps de concentrations en Allemagne. C’est ainsi qu’à la fin de l’été 1942, pas moins de cinq trains partiront des Milles en emmenant des hommes, femmes et enfants pour Auschwitz via Drancy.

Les convois :

  • Le 11 août : 262 personnes partent pour Drancy, 236 continueront vers Auschwitz. Enfermés dans les wagon le 10 au soir, les lamentations de ces malheureux durant toute la nuit vont déchirer les cœurs des habitants du village voisin.
  • Le 13 août : 538 Allemands, Autrichiens et Polonais transférés vers Drancy, tous seront déportés à Auschwitz
  • Le 23 août : 134 personnes venus des Groupements de Travailleurs Étrangers travailleurs étrangers transférés vers Drancy
  • Le 02 septembre : à la suite de la rafle des 25 et 26 août en zone sud,   1 200 Allemands, Autrichiens, Russes et Polonais sont regroupés aux Milles ; 574 partent pour Drancy dont 558 continueront vers Auschwitz
  • Le 10 septembre : 713 hommes venant du camp de Rivesaltes transitent par les Milles avec d’être transférés à Drancy, 571 partiront pour Auschwitz

Pas moins de 2 000 personnes auront quitté les Milles pour l’Allemagne.

La désinformation, la bêtise et la violence de cet article du quotidien collaborationniste Le Cri du Peuple en date du 28 janvier 1942 (origine Retronews)

Le 11 novembre 1942, la zone sud est occupée par les Allemands (pour les territoires à l’ouest du Rhône et la Côte d’Azur donc les Milles) et les Italiens (pour les régions à l’est du Rhône). Le camp est vidé de ses derniers occupants et le 04 décembre, la Wehrmacht réquisitionne les lieux pour ses troupes puis, plus tard, en fait un dépôt de munitions. 

En 2013, le Mémorial du camp des Milles est inauguré sur les lieux-mêmes où les murs peuvent témoigner de ce monstrueux passé. C’est le seul camp de concentration français conservé intact et ouvert aux visites.

Librement inspiré de l’article d’André Fontaine Le camp des Milles (septembre 1939-mars 1943)- Historique provisoire publiédans la revue Cahier d’Études Germaniques n°5 en 1981, pages 287 à 322 ; du chapitre sur les militaires ardéchois du camp des Milles dans le livre Des indésirables. Les camps d’internement et de travail dans l’Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre Mondiale écrit conjointement par Vincent Giraudier, Jean Sauvageon, Hervé Mauran et Robert Serre ; pages 113 à 117 ; édité en octobre 1999 aux Éditions Peuple Libre & Notre Temps.

Le Mémorial du camp des Milles peu après son inauguration en 2013. Ci-dessous, les murs de l’ancienne briqueterie racontent l’histoire du camp de concentration: fresque murale à la cantine, oeuvre de Karl Bodek, assassiné à Auschwitz en 1942 après être passé par les Milles.

Un reportage en trois épisodes dans le quotidien collaborationniste Le Cri du Peuple, en date des 26- 27 et 28 janvier 1942

Un autre journal Aujourd’hui en date du 19 janvier 1942… toujours la même haine !

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