Un tract de 2 pages (1 feuille recto-verso) ronéotypées, un journal: La Vie Ouvrière, organe de la CGT qui perdure de nos jours, feuille clandestine en 1942. Une date: celle du 17 octobre 1942, une consigne: NE JETEZ PAS CE JOURNAL. FAITES LE CIRCULER.
Pour commencer, un long article en guise d’éditorial, rappelant le drame du 22 octobre 1941, un an auparavant, l’assassinat par les Nazis des otages de Châteaubriant.

Voici le texte de cet article.
Le 23 octobre 1941, le peuple de France apprenait que les boches venaient d’assassiner 48 otages de Chateaubriant. L’indignation, la colère, la soif de vengeance, tels furent les sentiments qui s’installèrent dans le cœur de chaque patriote.
En lisant les noms des fusillés, tous les travailleurs de France firent le serment de les venger. C’est eux en effet, qui étaient surtout frappés. Stülpnagel et Pucheu qui fut chargé de désigner les otages, manifestaient leur haine de la classe ouvrière en massacre ses plus honnêtes et ses plus fidèles défenseurs. Secrétaire de fédération, dirigeants de grands syndicats, élus du peuple, des cités ouvrières, constituaient le plus gros contingent des 48 victimes.
Deux jours après, 50 otages furent exécutés à Bordeaux et ce fut la même haine des masses populaires qui précipita leur choix. Depuis, des milliers de patriotes français ont été massacrés. Parmi les hommes comme d’Estienne d’Orves des intellectuels, des savants, toujours figurent en grand nombre des militants ouvriers. Avec Domisse, Brunet et des dizaines d’autres ; Pillet, secrétaire de la fédération du bâtiment, Pourrouault des produits chimiques, des dizaines de secrétaires de syndicats et de délégués ouvriers ont payé de leur vie leur fidélité à la classe ouvrière et leur patriotisme. Tous sont morts en héros, clamant leur foi et leur idéal, leurs certitudes qu’ils seront vengés et que la France serait purgée des envahisseurs et des traîtres.
La vengeance a commencé. Des centaines de Boches pont payés de leur sang le sang de nos martyrs, des traîtres ont reçu le châtiment mérité et qui attend tous leurs congénères, des cheminots ont saboté les transports, envoyé des trains de munitions et de soldats boches dans les remblais, pour venger Sémard et Catelas, les métallos ont saboté, brisé des machines en souvenir de Timbaud, des détachements de francs-tireurs qui portent des dons glorieux : « Timbaud », « Simard », « Péri », « Catalas », « Cadras » etc.… ont exterminé des ennemis. Le souvenir de nos martyres et la haine sacrée de leurs assassins guident leur bras.
La mort glorieuse des héros en a fait surgir de nouveaux par milliers, dont le courroux s’apaisera que lorsque le dernier coupable aura payé, lorsque le dernier Boche aura été chassé de notre sol.
La vengeance comme moteur de la lutte. Oui, le tract oublie un peu l’idéologie mais il est plus facile de mobiliser en évoquant les crimes de l’autre qu’en faisant de la politique. D’ailleurs, en dessous de ce long éditorial, apparaissent 2 sujets de mobilisation immédiate:

La lutte pour éviter à des jeunes ou des ouvriers de partir travailler en Allemagne et la réussite de la prochaine grande manifestation contre les Nazis et Vichy: faire tout pour célébrer le futur 11 novembre 1942, 24 ème anniversaire de l’Armistice. On en reparlera dans le prochain tract !
Au dos, une série de brèves sur 2 colonnes: les actions des ouvriers dans les usines, les ateliers ici et là.

Des mouvements dans des usines de la couronne parisienne où le syndicalisme et la politisation des masses sont importants: chez Hotchkiss à Saint-Denis, chez Matra à La Courneuve, chez Gnome & Rhône-Kellermann, chez Citroen à Clichy, chez Babcock à La Courneuve, chez Rateau, à la Lorraine à Argenteuil, chez Chausson, à la S.I.P.A. de Neuilly, P.M. dans le 15ème arrondissement de Paris, chez Alstom à Lecourbe, chez Unic, aux Compteurs de Montrouge, chez Salmon et Voisin, à la S.I.F.: des protestations, des débrayages, des grèves…
Dans la seconde colonne, le tract explique comment organiser une grève pour qu’elle réussisse en évitant l’intervention des forces de l’ordre, la police française. Ainsi est-il faire référence à ce qui se passa en 1936. Voici les 4 commandements de l’organisateur d’une manifestation de ce type:
1-Organiser l’occupation des ateliers, bloquer les issues, organiser leur défense.
2-Prévenir immédiatement les entreprises voisines et les inviter à se joindre au mouvement. Par tous les moyens et surtout en envoyant des courriers, prévenir le plus d’entreprises possibles.
3-Alerter la population des quartiers proches de l’usine pour qu’elle soutienne la grève de l’extérieur.
4-Dans les circonstances présentes, la défense de la grève dans les usines exige la constitution de groupes spéciaux de combat avec des camarades décidés et connaissant bien l’usine. Avoir un objectif de désarmer l’ennemi qui menace et retourner ses armes contre lui.
En 1936, la puissance du mouvement, la rapidité de son extension, mirent les forces policières dans l’impossibilité d’intervenir efficacement. Il faut en être de même aujourd’hui.
À l’action avec courage et audace ! L’heure est venue de combattre et de faire échec à l’ennemi et au traître.
Métallos parisiens ! N’oubliez pas qu’en 1936 vos grèves avec occupation ont sonné le branle-bas dans tout le pays. Aujourd’hui encore tous les yeux sont fixés sur vous.
Un appel à la résistance dans les usines.