Traverser le Rhône a toujours été un gros problème de part le caractère irascible du fleuve. Le fait que la « civilisation » ancienne des hommes de la rive droite du Rhône, ceux qui ont dessiné Chauvet et construit dolmens et menhirs, n’ait pas débordé sur la rive droite au même climat et à la même caractéristique géologique, est certainement dû à cet obstacle majeur et dangereux que représentait le fleuve.
Construire des ponts fut bien souvent essayé mais le fleuve se chargeait régulièrement de renvoyer les hommes devant leurs limites. Les ponts en bois étaient emportés, les ponts en pierre connurent le même sort, autant en Avignon qu’à Vienne. Finalement, le premier pont qui résista au fleuve fut celui de Pont-Saint-Esprit achevé en 1309 et toujours debout en 2017.
Le moyen le plus sûr et le plus régulier pour traverser le fleuve, ce fut la barque, jusqu’à l’invention par Marc Seguin et ses frères des ponts « en fil de fer », les ponts suspendus, plus légers, plus facilement constructibles et moins coûteux. Même après 1825, les bacs restèrent actifs. Des bacs à rames au début, puis des bacs à traille.
La série de documents qui sera présentée au fil des articles pourra être accompagnée de remarques (espérons) pertinentes grâce à la lecture de la thèse en doctorat d’Henri Cogoluenhe soutenue en 1969 à la faculté catholique de Lyon. Pour les gens de la Drôme-Ardèche, elle est à disposition du public en salle de lecture aux Archives Départementales de la Drôme à Valence. C’est une mine de renseignements sur ce que fut la vie de ces bacs et bacs à traille depuis des temps immémoriaux jusqu’aux années 1970 pour certains, date à laquelle le Rhône fut dompté par les aménagements de la C.N.R. et où les lieux pour le traverser furent multipliés par la construction de ponts, barrages et usines hydroélectriques.
Première étape: le Bac à traille de VERNAISON.
Vernaison est un joli coin de verdure, à quelques encablures de Lyon et à 2 pas du couloir de la chimie. Les vents poussent les fumées et odeurs d’hydrocarbures vers le nord ou le sud en épargnant l’ouest. C’est à Vernaison que Paul Claudel prit une longue halte, le temps d’y écrire entre autre les « Pirates du Rhône ».
C’est aussi à Venaison qu’a été conservé (presque) en état de fonctionner la traille qui servit jusque dans les années 1950. On y reviendra.
Une traille, c’est…
une pile traille plantée sur une berge. Ici, celle de la rive droite, côté Venaison, toute proche de la voie ferrée.
En face, sur la rive gauche et la commune de Solaise,…
l’autre pile de traille, au milieu d’une prairie proche du Rhône et d’un restaurant de renom. On distingue bien l’escalier qui permettait au passeur d’accéder au sommet pour aller huiler la poulie sur laquelle coulissait la traille.
La traille, on la distingue ici allant d’une pile à l’autre au dessus du fleuve.
Elle est fixée à la pile de la rive gauche et enroulée sur un tendeur de traille au pied de la pile de la rive droite, pour lui donner plus de souplesse, en fonction du chargement de la barque ou du débit du fleuve:
La barque permettant de traverser le Rhône coulissait sur cette traille, attachée qu’elle est à celle-ci par un autre cable, le traillon.
C’est uniquement la force de l’eau et l’angle du bateau avec le fleuve qui le faisait progresser et traverser, comme on le voit sur ce schéma que l’on doit à Henri Cogoluenhe, emprunté à sa thèse.
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Le bac de Vernaison existe depuis très longtemps. Henri Cogoluenhe en a retrouvé des traces écrites dès le XIIème siècle et son existence est certaine au XIVème siècle. C’est à ce moment que les bacs à rames deviennent des bacs à traille, l’invention de cette méthode de locomotion datant de cette époque. Les piles maçonnées ne sont pas aussi anciennes. Elles ont été construites au début du XIXème siècle. La traille fonctionna jusqu’à la mise en service du premier pont suspendu, celui-ci:
L’armée française en retraite le détruisit en juin 1940 pour retarder l’avance de la Wehrmacht. Le bac fut alors remis en service pour quelques 15 années, jusqu’à l’achèvement du nouveau pont de Vernaison, celui qu’on a vu plus haut. Voici sur cette CPSM, le bac qu’on pouvait emprunter dans les années 50.
On distingue au fond la pile de traille de la rive droite, proche de la voie ferrée.
A suivre, le bac d’Oullins.