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Il y a 100 ans jour pour jour: une autre lettre d’un POILU GRENOBLOIS à ses PARENTS.

Une autre lettre du Poilu grenoblois Pierre Gautier, datée du 20 décembre 1915, il y a 100 ans jour pour jour.

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Depuis deux jours, je voulais faire cette lettre et seulement ce soir, je dispose d’un moment avant d’aller me coucher. A peu près à la même heure avant hier soir, je m’étais installé  au réfectoire pour écrire, quand subitement toutes les batteries environnantes se mirent à cracher pendant dix minutes sans interruption. Les éclairs illuminaient le ciel et tout remuait dans le village. Bien entendu, au lieu de m’occuper de ma correspondance, j’ai voulu me rendre compte de ce qui se passait et d’un petit monticule sur lequel j’étais monté avec quelques camarades, je n’ai rien vu du tout ! Le brouillard était opaque. Je ne parle pas des éclairs qui se voient toujours de très loin mais des éclatements qui se produisirent sur les tranchées ennemies jusqu’à onze heures. Trois fois, nos artilleurs ont recommencé ce concert bruyant et certainement peu agréable pour les Boches. Deux jours avant, un des leurs, un sous-officier s’était rendu  et avait donné des indications précises sur les mouvements des troupes qui devaient se produire le jour de la relève. C’était sur des colonnes que nos artilleurs tapaient si courageusement. Les habitants des tranchées s’en mêlaient aussi car, en entendant la fusillade et la mitrailleuse de temps en temps. Enfin c’était parfait.

 Tant mieux pour nous si nous avons pu démolir des Boches. Nous sommes en guerre mais je pense encore à la lâcheté de cet homme qui a fait tuer ses camarades. C’était paraît-il un embusqué débusqué. Il n’avait que trois jours de tranchées.

Avec tout cela, je n’avais pu faire. Aussi, je m’étais promis de bien employer la soirée d’hier pour rattraper le temps perdu. On dit bien que le temps perdu ne se rattrape pas mais en guerre, on rattrape tout sauf les obus qu’on laisse passer. C’est plus prudent ! Toujours dans le même local, car je n’ai pas le choix. Je m’étais mis pour faire ma lettre hier soir et, de huit heures à onze heures, trois amis sont restés à ma table. Déjà bien énervé par mon travail de la journée, je ne pouvais absolument pas écrire en écoutant discuter à côté de moi. J’étais furieux. Ne sachant plus où aller, je suis resté avec eux, tout naturellement, je me suis mêlé à leur conversation tout en pensant qu’ils feraient bien de me laisser tranquille. Je suis comme toi, je n’aime pas vivre seul mais quand j’ai quelque chose à faire, je voudrais pouvoir le faire: tu me comprends.

Enfin, aujourd’hui, je suis à peu près certain de ne pas être ennuyé. Tous les sapeurs sont allés se coucher et je reste seul  toujours dans le fameux réfectoire ajouré. Nous avons du brouillard maintenant. Il fait beaucoup moins froid que ces derniers jours mais il ne fait pas chaud pour cela. Je sens l’air qui passe sous la toile et tout à l’heure, je serai complètement gelé; c’est une habitude.

Les Boches, les obus et le froid, tout cela n’est rien à côté de ce qui m’inquiète depuis plusieurs jours. Le travail ne me fait pas peur mais je suis navré d’être tombé avec un chef absolument incapable, presque un imbécile. Je me trouve placé dans une situation très délicate entre un Commandant qui me connaît et ce pauvre garçon qui ne comprend absolument rien. Il ne m’ennuie pas mais m’énerve tellement que j’arrive à ne pas pouvoir le supporter. Ce soir encore, il a fait une grosse bêtise. Aussi dès demain matin, je vais lui expliquer ce qu’il en est. Pauvre France ! Enfin, je n’en dis pas plus long. Dans une lettre officielle, j’expliquerai tout cela à Papa. Je regrette le temps où j’étais avec le Capitaine C. ou l’adjudant Chapelain. On faisait du travail utile intéressant.
En fait de repos, j’ai travaillé toute la journée d’hier et pour rien du tout.

J’insiste pour que tu me comprennes bien, Chère Maman, d’un côté, je dis tout va bien et d’un autre, tout va mal. Je m’énerve de voir travailler de la sorte surtout en temps de guerre. Je prétends que ce n’est pas le moment de faire des choses à la légère. Autrement, je me plairais ce soir ici. Je suis bien installé, en bonne santé et suis avec de bons camarades.

 Tout à l’heure, j’étais tellement surexcité que si je n ‘avais pas eu ce retard, je serais presque allé me coucher aussitôt. Je me suis raisonné et surtout, je tenais absolument à ce que ma lettre arrive avant la Fête de Noël qui ne sera pas encore très agréable pour nous cette année. Mon ami Glachet est venu à quatre heures rejoindre notre vieille équipe installée avec le quartier général de la Compagnie dans le village où j’étais pendant le mois qui a précédé ma permission. Il y aura certainement une belle messe de minuit dans l’église du village. Eugène Schaller prêtera son concours je crois. Enfin, je m’ennuierai toujours moins qu’ici. Je serai avec de vieux amis. 

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Tout de même, j’en arrive au sujet principal de cette lettre puisque tu veux bien t’occuper de mes photos, Chère Maman. Je vais d’abord te remercier du petit envoi et ensuite te demander quelques renseignements qui m’intéressent. C’est pourquoi je m’adresse directement à toi.

1er J’envoie toutes les photos pour que Tante Marie et M. Tillon puissent les regarder car je suppose que tu n’en as fait tirer qu’une collection.
2ème Avec toutes celles que j’avais ici, je les ai placées dans un petit carnet-album que je suis content de regarder. Je serais très heureux que tu me les renvoies toutes pour les mettre à leur place. Pour éviter d’en faire un envoi spécial, tu pourrais en mettre 3 ou 4 dans chacune des lettres. Tu mettras de côté dans la serviette celles qui ne font pas partir de la petite collection. Je les ai en double.

3ème Puisque Mme Oddoux a été si aimable, je saurai m’en rappeler. Dorénavant  tu voudras bien porter mes bobines au fils Martinotto, je lui en avais parlé, il le fera volontiers.
D’abord, je ne sais pas si ces taches ne sont que sur les épreuves mais j’ai trouvé que les marques de doigts ne manquaient pas  sur les photos de Papa en particulier et sur d’autres encore ! Si ces pellicules sont marquées ainsi, je ne suis pas content du tout.

4ème Mme Oddoux a numéroté les épreuves en pensant peut-être que nous en commanderions des douzaines. Je crois qu’il n’en a jamais été question.

Dis-moi ce qu’elle t’a pris pour ce travail et, si tu as l’intention d’en faire tirer d’autres. Je suis trop content de regarder ces photos. C’est pourquoi je te demande de me les envoyer.

5ème C’est peut-être un oubli, mais tu ne m’as pas dit comment tu les avais trouvées. Etant donné le temps qu’il faisait, je ne suis pas mécontent du résultat. Celles tirées par Lisi sont bien tirées, tu lui feras des compliments. Celles d’Allevard sont superbes. Il en manque une que j’avais tirée avec M. Tillon. Est-elle mauvaise ou s’est-elle égarée ?

En parlant des ces photos je pense encore à Allevard mais malheureusement la vie est moins calme ici. A l’instant nos artilleurs viennent de sonner l’extinction des feux aux boches. Hier, j’ai entendu la canonnade toute la journée. Je dessinais et chaque coup tiré par une grosse pièce placée assez près me faisait dévier la main. A la fin, on n’y fait plus attention du tout. Jour et nuit, c’est toujours la même musique.

Béquet doit m’apporte une ou deux bobines. Le premier jour de soleil, je pourrai faire des choses intéressantes.

Pour compléter ma lettre concernant les petits colis, il me reste à te demander de joindre à chaque colis deux ou trois bougies au lieu d’une et quelques petits pains. Ce que nous appelons le pain K.K!

Tu voudras bien faire de toutes mes amitiés à Monsieur Tillon et communiquer à tante Marie mes lettres écrites depuis mon retour de permission. Je voudrais pouvoir faire mieux mais j’espère que tout le monde comprend bien notre situation.
Je n’ai pas encore trouvé un moment pour aller voir Monsieur Bret.
J’espère que la chance continuera à me favoriser pour me permettre d’être avec vous pour Noël 1916 !

Mes amitiés à toute la famille.

Reçois Chère Maman les remerciements et meilleurs baisers de ton fils.

Pierre

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Il y a 100 ans jour pour jour: une lettre d’un POILU GRENOBLOIS à ses PARENTS.

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Le mardi 14 décembre, Pierre Gautier, le poilu grenoblois écrit sa 201ème lettre à ses parents, comme on peut le lire:

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Chers parents.

     Ce soir, je voudrais que vous voyiez dans quelles conditions je me trouve pour faire ma lettre. On peut être plus ou moins bien, quant à être plus mal, c’est impossible. Remarquez bien qu’il n’y a ni négligence, ni insouciance de ma part. Certes nos conditions d’existence actuelles en sont la cause. Vous savez qu’en hiver surtout, la vie du front n’a rien de commun  avec celle de l’intérieur. Malheureusement, au cours de ma permission, j’ai pu me rendre compte que beaucoup de personnes semblaient s’en désintéresser complètement. Pour moi, ces gens-là prennent trop à la lettre les beaux articles de nos journaux qui ont le tort de faire croire au public qu’on est plus heureux ici qu’à l’intérieur.

     Certainement, nous sommes heureux d’être ici puisque c’est pour faire notre Devoir, mais qu’on ne vienne pas nous raconter que vous vivons comme des rois ! Maman m’a dit que la pluie continue à Grenoble. Ici, le temps s’est mis au froid. Il fait très froid mais nous préférons tous ce temps à la pluie qui transforme les tranchées et boyaux en canaux presque navigables ! Je voudrais que nos promeneurs de la Place Grenoble voient un peu les habitants des tranchées les jours de pluie. Pour n’importe quel prix, des hommes ne voudraient mener cette existence en temps de paix. Nous ne sommes pas très heureux et cependant nous les plaignons amèrement.

    Pour en revenir à ce que je disais en commençant: j’écris actuellement dans notre réfectoire, petit local à moitié ouvert où l’eau gèle facilement. A côté de moi, plusieurs jouent aux cartes. Naturellement tout le monde a sa capote. Les cols sont relevés. C’est la pièce la plus chaude et tout le cantonnement et de tout le pays qui soit à notre disposition. A cette température, Maman ne résisterait pas. 

   Je ne parle pas de notre dortoir, c’est encore pire. Je suis étonné de ne pas avoir froid la nuit car n’oubliez pas que nous n’avons qu’une couverture (d’après le journal d’hier, tous les soldats en ont reçu deux). Ce n’est pas une plainte que je formule mais une simple réflexion en passant. Il est inutile de raconter des choses qui ne sont pas, surtout en ce moment. Plusieurs officiers sont logés comme nous. Je dors tout habillé et me couvre avec tout ce que j’ai à ma disposition.

    Je travaille dans une grande salle à manger de château transformée en bureau. Là encore, je dessine en conservant ma capote (avec le col relevé). Enfin, pour me réchauffer, je suis obligé d’attendre le soir quand je suis couché. Je ne me plains pas de cette situation. Je supporte admirablement bien et me porte à merveille !! Je voudrais simplement trouver une petite pièce chauffée pour passer mes veillées et écrire sans grelotter comme maintenant. J’ai tenu à bien vous mettre au courant pour que vous puissiez faire comprendre à ceux qui ne le comprennent pas que nous sommes ni heureux ni malheureux. Vous recevrez des nouvelles régulièrement, lettre ou carte, mais je prévois que je ne pourrai pas correspondre avec d’autres personnes. Avec la meilleure volonté du monde, c’est impossible.

    Je n’ai pas rencontré le Capitaine Tourrot mais j’ai appris qu’il avait été désigné pour faire un peloton de futurs caporaux et sergents un peu à l’arrière. Plusieurs sapeurs de notre compagnie sont partis pour suivre ces cours. Ils y resteront un mois.

    Les instants ont été tellement comptés pendant ma permission que je n’ai pas trouvé un moment pour aller avec Maman faire une visite à Madame Toussot qui a dû me trouver bien malhonnête. La prochaine fois, cette visite ne sera pas oubliée.

    En attendant, vous ne manquerez pas de me rappeler au bon souvenir de Madame et Mlle Toussot en les priant de transmettre mes amitiés au Capitaine qui serait peut-être curieux de savoir où et avec qui je me trouve en ce moment. Naturellement, le secret professionnel m’empêche de le lui dire !

    Si vous savez où je suis. Marguerite pourrait le dire à Marthe Roybon qui le ferait savoir à Maurice. Je vais lui écrire pour lui demander de venir me voir une journée, mais il m’est impossible de mettre aucune indication sur ma carte. Répondez-moi à ce sujet. Après demain je ferai une lettre de commissions.

    Mes amitiés à tous et meilleurs baisers pour vous.

Pierre Gautier

PS quel est le secteur du Capitaine Tourrot.

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Il y a 100 ans: une CORRESPONDANCE d’un POILU GRENOBLOIS dans un carton trouvé à LA VOULTE.

Trouvé lors du marché aux puces mensuel de La Voulte de novembre dernier, ce bloc de lettres enveloppé d’une feuille de kraft attachée par une ficelle.

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Ces lettres, ce sont des écrits d’un poilu à ses parents. Un Poilu ayant fait des études qui  écrit régulièrement d’août 1914 à août 1917 soit plus de 250 lettres. Il les a postérieurement numérotées. Elles y sont presque toutes. Comme on peut le voir ci-dessous, il a utilisé toutes formes de supports, petits plis, lettres, cartes militaires…

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Belle écriture, phrases soignées… une volonté  d’écrire pour que les lettres témoignent et survivent à leur auteur. Un auteur nommé Pierre Gautier dont on retrouve la trace aux Archives Numérisées de l’Isère, avec sa fiche matricule. Né le 16 mars 1893, il avait donc 21 ans 1/2 quand débuta la guerre. Il avait manifestement fait des études de dessinateur industriel dans la domaine de la menuiserie pour travailler dans la fabrique de son père Eugène Gautier. Il devint par la suite, après-guerre, gérant d’immeubles. Sa guerre et sa période militaire ne s’arrêtèrent pas en août 1917 comme le lot de lettres mais en 1919. On apprend qu’il était brancardier, travail difficile et énormément dangereux . Il fut d’ailleurs gazé sans trop grande gravité le 13 juin 1918.

Nous allons essayer de vous en présenter quelques uns de ses écrits dans les semaines et mois qui viennent….

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MAI-JUIN 1940: la DÉBÂCLE, des DESTRUCTIONS, la FUITE…. et le RETOUR…(1/2)

Mai-Juin 1940 fut un moment dramatique pour beaucoup de Français habitant au nord de la Loire. Après 8 mois d’attente, la Wehrmacht passa à l’attaque le 10 mai 1940 où on ne l’attendait pas… c’est-à-dire par la Belgique pourtant neutre. Après Sedan en 1870, août 1914, c’était la troisième fois que les habitants de ces régions virent déferler les troupes allemandes. Cette attaque éclair d’une offensive qui ne dura qu’un peu plus d’un mois, jeta sur les routes des millions de malheureux fuyant les combats, les bombardements… A la Drôle de Guerre avait succédé la Guerre éclair (la Blitzkrieg) un épisode dramatique pour beaucoup de Français.

Dans une carton de vieux papiers, quelques lettres racontent la fuite éperdue de civils devant l’arrivée des Allemands, les combats, les bombardements. Cela démarre du côté de Louviers (entre Rouen et Evreux) soumis à une attaque de l’aviation.

Le père, boulanger, resté seul le dernier,raconte sa fuite… et son retour.

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 Dans une lettre du 20 juillet (2 mois après les faits) il écrit à sa femme partie de son côté avec ses enfants et d’autres membres de la famille: Je suis parti le mardi matin des abords de Louviers. Lundi nous avons encore vendu 800 boules au magasin (C’était l’un des boulangers de la ville). Mardi départ sous les bombardements, direction Broglie ensuite Alençon et après 20 kilomètres plus loin, je suis arrêté à Carouge. J’ai fait du pain pendant 4 jours. Et après l’arrivée des Allemands qui a été un peu mouvementée, je repartais pour Louviers avec Robert et mes chevaux. J’ai émigré 12 jours. Je suis rentré des premiers…

Plus loin, il se penche sur les destructions qu’a subi la cité.

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Maintenant passons à notre Louviers. Ce n’est pas joli. D’ailleurs quand je suis arrivé et que j’ai vu ce spectacle, les larmes m’ont parti des yeux. Je ne savais quoi faire et tous les jours, j’allais dans le coin. Rue Maréchal-Foch détruite depuis la charcuterie jusqu’à la place d’Evreux. Rue de la Laiterie détruite. Rue Tatin détruite. Rue des Huilliers détruite jusqu’à Delarue. Rue de Matre détruite. Rue de Neubourg détruite. Place des Halles détruite. C’est un drôle d’aspect. C’est le centre de la ville qui a pris, la Cathédrale n’a rien.

Sont-ce des bombardements allemands contre l’armée française en déroute, des attaques gratuites pour terroriser la population ou des attaques aériennes britanniques. Pas d’indication mais la première hypothèse semble la plus vraisemblable, les Anglais étant occupés au même moment à sauver ce qui pouvait l’être encore du côté de Dunkerque…

De son côté, l’épouse a pu aller beaucoup plus loin et a trouvé refuge en Haute-Vienne, à Domps. Voilà ce qu’écrit un parent l’accompagnant, fin juin 1940.

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Malgré que vous nous ayez dit de ne pas « boucler les valises », par la force des choses; nous avons bien été forcés de le faire et ce n’est plus de Louviers que je vous écris mais d’un patelin perdu dans le Massif Central éloigné de 12 km d’une ville. Domps (H-V). Vous voyez, je commence à me rapprocher de Port-de-Bouc. Mais j’espère que bientôt nous rentrerons à Louviers et qu’il n’y aura pas trop de « bobos ». Et j’espère que si vous êtes débarqué vous tacherez de venir nous voir à Louviers bientôt. J’espère que la vie reprendra malgré les Boches et le Macaronis. (les Allemands et leurs alliés Italiens de Mussolini, en 1940).

Dans un autre courrier, l’auteur s’étend un peu plus sur ce voyage aller Louviers-Domps.

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Nous sommes maintenant bien loin de toi dans un coin perdu dans le Massif Central. Nous ne nous sommes pas perdus malgré la cohue. Nous n’avons pas trop souffert du voyage.

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Mon oncle Pierre lui, fait de la Boucherie et ravitaille les paysans en viande. Les voitures n’ont pas trop souffert du voyage: Ferblantine (le B-12) va bien; il n’y a que la 11 qui a le démarreur cassé et la batterie déchargée. Jacques et maman sont partis aller chercher de l’essence à Eymoutiers (un pays le plus proche à 12 km). Quand nous serons revenus, nous te raconterons toutes les péripéties de notre voyage qui sont assez nombreuses. Nous espérons tous bientôt vous revoir…

Il est certain que le voyage doit avoir été mouvementé… l’auteur utilise le mot cohue pour désigner le trafic sur les routes. Des films (Jeux interdits) et téléfilms ont raconté cet épisode dramatique de l’histoire de la Seconde Guerre.

A mesure que les nouvelles se transmettent, les familles arrivent à renouer le contact et s’informer. Ainsi cet écrit

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Nous avons aussi notre oncle XX le boucher, il a eu des nouvelles de chez lui, sa maison est transformée en Kantine par les Allemands… et plus loin

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…notre oncle YYY de ZZZ, il a évacué jusque dans l’Orne, sa voiture a brûlé, et puis il est retourné chez lui. Sur au moins 100 bêtes à cornes qu’il avait, il lui reste 2 porcs. Ainsi que vous le voyez, toutes les familles se retrouvent. Quant à vous, j’espère que la santé est bonne et ques les Allemands, Italiens et Anglais ne vous ont pas fait trop de mal.

Des témoignages assez poignants.

A suivre des papiers officiels sur cet épisode dramatique.

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Un PRISONNIER ALLEMAND écrit à la FAMILLE de NORMANDIE chez qui il travailla.

Il n’est pas rare, au moment de la Libération de la France que des militaires allemands faits prisonniers ne soient pas enfermés dans des camps mais placés dans des fermes pour y travailler jusqu’à la fin du conflit et que leur cas soit réglé.

Dans cette lettre partie de Villigren in Schwarzwald aujourd’hui appelé Villigren-Schwenningen,

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un jeune allemand annonce à son ancienne famille d’accueil qu’il est bien rentré, que les siens sont contents de la revoir et qu’il a gardé un bon souvenir de son séjour « forcé ».

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La lettre est datée de décembre 1947, ce qui signifie qu’Ewald resta tout de même 3 ans 1/2 prisonnier en Pays de Caux, à Saint-Jouin-sur-mer (appelé maintenant Saint-Jouin-Bruneval), petit village de Haute-Normadie, au-dessus du Havre, qui accueille maintenant sur son territoire le terminal pétrolier d’Antifer.

Il essaie d’écrire en français pour la famille et ajoute quelques mots en allemand pour un René qui doit comprendre la langue de Goethe… peut-être un fils de la famille qui aurait pu passer 4-5 ans en Allemagne comme prisonnier lui aussi de l’autre côté ?

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Il enverra par la même occasion sa photo en écrivant au dos « Villingen, le 28.12.48 Oubliere pas votre Pierre !« 

Comme quoi des amitiés peuvent naître des vicissitudes des guerres !

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ADRIEN-GABRIEL GUÉRIN MORT POUR LA FRANCE en 1915 (2/2)

Suite de l’article précédent…

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Dans le livret militaire d’Adrien avait été ajouté, tenu par des agrafes parisiennes, un document de 4 pages, ce Fascicule de Mobilisation:

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dans lequel il est expliqué les modalités pour rejoindre son unité le jour où la funeste affichette de Mobilisation sera apposée sur tous les murs de France.

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Ainsi, le 3 août 1914 (ou le 4, le mobilisé avait 24 heures pour réagir), au moment où il aurait dû moissonner ses champs, Adrien prit le PLM en gare de Bédarrides pour rejoindre le 118ème Régiment Territorial en Avignon.

Les régiments territoriaux étaient occupés pour des tâches de seconde ligne ou à la défense des forts mais devant les pertes subies, on les rapprocha des premières lignes.

C’est au fort de la Pompelle, dévoué à la défense de Reims qu’Adrien fut au plus près des lignes ennemis.

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Ci-dessus une vue prise depuis le fort où le paysage est lunaire après les combats et la couverture d’un carnet de cartes postales édité après le conflit.

Pour l’épisode du 20 octobre 1920, le carnet ne dit plus rien, pas le temps d’écrire quoi que ce soit. Par contre, très émouvant, ce petit bout de papier qui dût accompagner Adrien lors de son transfert vers l’arrière, vers l’ambulance militaire, pendant son agonie.

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Cet hôpital militaire était situé à Damery dans la Marne, au sud-ouest de Reims, où Adrien rendit l’âme le 21 octobre, il y a 99 ans aujourd’hui. A la 5ème ligne du billet, se lit un petit mot gaz. Il devait s’agir d’un lâché d’un nuage de chlore par les Allemands , nuage poussé par un vent d’est sur les lignes françaises qui dût causer de nombreuses pertes dans les rangs des soldats français dépourvus de masques à gaz, inexistants en 1915. Ce qui est faux à la lecture du livre suivant sur Emile Sauvage, un Poilu caderoussier (de naissance) et sorguais (d’adoption), paru chez Elan Sud, une maison d’édition orangeoise, que m’a indiqué Jean-Paul Masse de Caderousse:

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Dans ce livre illustré de photos du 118ème RIT, on voit ceci:

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et on peut lire en légende:

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Les soldats étaient bien équipés de masques rudimentaires. Encore fallait-il correctement le positionner, bien l’imbiber -après avoir trouvé l’officier porteur du produit- et la protection n’était pas garantie à 100%… pour preuve les décès d’Adrien et d’Emile le même jour pour les mêmes causes…

voir Petite radioscopie du Monuments aux Morts de la Grande Guerre de Caderousse (Vaucluse)… paru le 11/11/2014.

Le corps d’Adrien fut inhumé dans ce village. C’est Séraphin, son fils ainé (lui- aussi mobilisé en 1916 -on verra plus tard), qui, par ses relations, put obtenir la photo de la tombe de son père (la croix de droite).

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En effet, Séraphin qui étudiait au petit séminaire d’Avignon, écrivit au curé de Damery. Celui-ci lui envoya ce cliché, un peu passé maintenant, accompagné d’une lettre pour sa mère.

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En quelques mots, le prêtre rassure qu’il ne risque pas d’y avoir erreur de tombe quand viendra le moment du retour de la dépouille d’Adrien à Caderousse, le cimetière étant bien surveillé et les tombes clairement identifiées et que pour l’instant le front se trouvant à 20 ou 30km de là, les bombardements ne peuvent pas l’atteindre. Il parle des « aéros » qui présentent un danger mais « viseront surtout la gare… qui est loin du cimetière ». Damery ne connaîtra jamais la ligne de front.

Voici la page qui lui est consacrée sur le site internet des Archives du Ministère de la Défense géré par le service du fort de Vincennes.

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Quelque temps après, Léonie, la veuve d’Adrien, reçut ce rouleau cartonné…

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contenant un diplôme officiel.

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En dessous de la Marseillaise de Rude de l’Arc-de-Triomphe de l’Etoile,

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le texte rappelait le sacrifice d’Adrien

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et l’Hommage de la Nation.

Adrien laissait derrière lui Léonie, 3 enfants Séraphin, Gabriel et Léonce et ne connut pas ses petits-enfants Georgette, Adrien et André. La tombe familiale du cimetière de Caderousse porte son nom.

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Au moment de sa mort, il avait l’honneur et la malchance d’être « le doyen » des morts pour la France du Vaucluse, comme l’atteste ce petit article paru dans le Petit Provençal de l’époque. Je pense qu’il ne le resta pas à la fin de la guerre.

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Sur le Monument aux Morts de Caderousse, au coeur du cimetière, le nom d’Adrien apparaît entouré des 106 autres enfants de Caderousse sacrifiés pendant la Grande Guerre. Une hécatombe !

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Lettre du 17 octobre 1944- BARBIèRES (Drôme)-Evènements du VERCORS-Répression.

Une lettre datée du 17 octobre 1944 qui raconte les évènements du Vercors de juillet 1944. Barbières est situé au pied des Monts du matin, à l’est de la plaine de Valence, au début du col du Tourniol. Après quelques mots s’enquérant de la santé des correspondants et donnant des nouvelles de la famille, l’auteur raconte:

« Au 9 juin, j’avais rejoint le maquis du Vercors en compagnie de Ruchon, Jean Reynier, Raymond Reynier, René Blachon, Nicolas Marcel, nous y sommes restés jusqu’à fin juillet date à laquelle les Boches nous ont attaqués en force. Vous avez dû l’apprendre dans les journaux ainsi que toutes les atrocités commises. Barbières étant zone rouge ainsi que tout le pays le long de la montagne, nous avons eu l’occupation des Mongols pendant 17 jours; ce fut le règne de la terreur, pillage, incendies et viols. Heureusement aucune victime au pays, ma femme ne pouvant rester avec Ginette seule dans le grand bâtiment s’était réfugiée chez M. Bellier sur Besayes le 21 juillet. Le 22 au matin, les rafles et les perquisitions commençèrent à la pointe du jour. Vous pensez bien que notre logement ainsi que l’usine n’y ont pas…

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…échappé; à l’usine tous les tissus sont partis, quant à la maison, le poste, le vélo, le linge, les couvertures, le lainage, les vêtements, les chaussures etc…, ils nous ont laissé tout de même les meubles, la vaisselle et quelques vieilles nippes, vous pensez un peu dans l’état que cela avait mis. Ma femme quand elle est rentrée chez elle de trouver une maison toute bouleversée et moitié vise, nos réserves en nourritures, 12 douzaines  d’oeufs , un jambon, du lard, 25kg de farine blanche, 5 kg de sucre, 10 kg d’haricots, 8 kg de maïs, 5 kg d’orge torréfiée, le beurre, la graisse, le vin en un mot il nous reste plus que nos yeux pour pleurer. Après cette secousse, ma mère est décédée le 15 août, cela fait que nous sommes tous monté à Bouvante chez les parents de ma femme pour passer trois semaines de tranquillité qui nous a fait tant de bien à tous.

Vous avez dû savoir que Saint-Jean, Saint-Nazaire et Pont-en-Royans ont été bombardés par les boches de 20 juin; Saint-Nazaire a beaucoup souffert aussi l’usine est paralysée pour quelques temps à cause des dégâts t le pillage qu’elle a subi. A Barbières, nous avons recommencé le 2 octobre, nous pensons pouvoir travailler en attendant de recevoir les nouvelles matières, au kaolin ça ne marche pas fort, le manque de transports se fait sentir… »

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La répression qui fut terrible sur le plateau (Vassieux, La Chapelle, La Luire…) le fut également au pied où les Allemands attendaient les maquisards descendant du plateau plutôt que les poursuivre dans les forêts et ne souhaitaient que la population les aide. Le passage de l’Isère pour ses jeunes fuyant le plateau fut fatal pour beaucoup (nombreuses stèles le long de la route vers Saint-Nazaire-en-Royans). Les Mongols dont on parle sont des supplétifs de la Wehrmacht issus de l’Est (Azerbaïdjan…) spécialisés dans des taches pour semer la terreur après les combats qui furent menés par des Alpins et des Parachutistes sur le plateau.

 

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Itinéraire d’un POILU CHARENTAIS…

…ou les pérégrinations du soldat Gabriel Roy pendant la Première Guerre Mondiale.

Une collection de cartes postales anciennes. C’est la correspondance entre le poilu Gabriel Roy qui envoyait des cartes à sa petite soeur Simone restée à Breuil-Magné (Charente- Inférieure à l’époque-) ou ses parents. En les classant par ordre chronologique, on peut suivre son itinéraire et comprendre ce qu’il a vécu.

29 août 1916: il vient d’être incorporé au 109ème régiment d’artillerie à Poitiers.

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06 septembre 1916: il va faire un tour à Brest au Dépôt de Réception des chevaux étrangers.

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19 septembre 1916: on le retrouve à Nîmes, non pas pour la Féria des Vendanges,mais en route pour une destination plus lointaine.

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30 septembre 1916: le grand départ dans le paquebot S.S. SANT’ANNA à partir de Toulon… et à destination de Salonique. Le voyage a duré 5 jours. Le petit fils de cheminot de Charente se retrouve en Grèce après un beau voyage lui qui certainement n’avait jamais imaginé cela!

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15 et 21 octobre 1916: il envoie des « Bons Baisers d’Orient » à sa petite soeur.

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16 décembre 1916: ce sont les voeux depuis Monastir (pas la ville de Tunisie mais la ville appelée maintenant Bitola en Macédoine- ex-Yougoslavie-).

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La carte montre des réfugiés grecs fuyant devant l’avancée des troupes bulgares.

09 février 1917: une correspondance plus longue avec sa soeur.

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02 mars 1917: le voilà en Albanie où les combats obligent sa troupe à se déplacer constamment.

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Les prochaines correspondances arrivent bien plus tard, 9 mois plus tard et elles sont envoyées depuis Marseille!

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Elles sont datées du 23 décembre 1917, du 24 décembre 1917, la seconde montrant un hôpital militaire.

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La première chose qui saute aux yeux, c’est l’écriture qui a totalement changé. L’inclinaison de ses lettres est inversée et le trait est beaucoup plus hésitant… comme s’il écrivait avec sa main gauche. Comme il doit plus s’appliquer et mettre plus de temps, il fait beaucoup moins d’erreurs d’orthographe. Dans la première lettre, une phrase lourde de sens pour expliquer qu’il ne va pas rentrer en permission: « … alors j’attendrais d’avoir mon appareil qui j’espère ne tardera pas d’être fini et livré. » Plus légère la lettre du 24 dans laquelle il demande à son père de faire « parvenir un lièvre ou un lapin » à des amis marseillais-les Roux-, « par colis recommandé ».

La lettre suivante nous livre la réponse à ce qui est arrivé à Gabriel. En date du 03 février 1918, toujours de l’hôpital Saint-Joseph à Marseille.

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« Tu me demandes si je fais aller mes doigts, je me sers de tous, je n’ai aucun nerf d’atteint, il n’y a que le coude qui me manque. Malgré cela, je puis faire de la force avec mon bras. Il n’y a qu’une chose, je n’en suis pas agile. »

Et oui, Gabriel Roy a perdu l’usage de son bras droit avec une grave blessure au coude. Il écrit donc du bras gauche mais n’est pas très agile.

Les deux dernières cartes marseillaises sont datées du 8 et 20 mars 1918.

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Sur la dernière, il nous apprend qu’il signe sa réforme le 22 mars et qu’il rentrera en Charente par le train le 24. Sa guerre est finie. Il y aura survécu mais en gardera une infirmité le reste de ses jours.

La suite de la correspondance après guerre nous apprend qu’il se mariera avec Blanche, originaire de Dijon, qu’ils auront un fils Roger et qu’il sera lui-aussi employé des chemins de fer. Mais ceci est une autre histoire!

Un internaute me communique ce document produit par les Archives Départementales du Territoire de Belfort sur le parcours d’un soldat envoyé sur le front d’Orient. Ci-joint le lien pour arriver à ce document:

http://www.calameo.com/read/002559357a72b6b94abcc

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Une lettre du 28 mai 1871 nous parle de la COMMUNE de PARIS

Un pli, une simple page de papier pliée puis fermée à la cire et envoyée depuis Montmorillon dans la Creuse par El(isabeth) ou El(ise) de Laveaucoupet-Briguet à sa nièce Marie de Laveaucoupet vivant habituellement à Paris (48-rue de Berry) mais réfugiée pour la circonstance à Saint-Sulpice-le-Dunois, également dans la Creuse.

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La lettre est partie de Montmorillon le 28 mai 1871 et est arrivé à destination le 29 mai. Voici son contenu, il semble que le début n’y soit pas.

« …passé rue de Berry et rue Tronchet, dis-le moi et explique-moi aussi comment à son âge, il a pu rester dans Paris sans être forcé de prendre part à cette affreuse lutte.
Mme de Ladmirault a su par Edouard son maître d’hôtel à Lille et qui est venu passer 4 ou 5 jours à Lafouchardière que les communeux cherchaient l’appartement du Général. Ils sont allés rue Lascaze où le concierge a eu l’esprit de leur dire qu’il n’y avait …. plus depuis longtemps et qu’étant … à Lille aussitôt après son retour d’Afrique il n’avait peut-être plus d’appartement à Paris. Dieu veuille qu’ils se soient contentés de cette explication.

Je viens d’avoir une dépêche d’hier 27 six heures du soir, ils sont encore sauvés tous les deux mais on continue à se battre et Paris brûle toujours au moins dans une partie. je vous écrirai dès que j’en aurai une autre et j’attendrai même jusqu’au dernier moment pour mettre ces lignes à la poste.

Adieu mille amitiés autour de toi. Si Zulma est à Laborde fais-lui donner des nouvelles de ton père .
Ta tante dévoué… »

Sur le rabat comme promis, la correspondante a ajouté ces mots:

« Je reprends ma lettre à la poste pour te dire que je viens d’avoir une dépêche de ce soir 28 à trois heures. Ils sont bien tous les deux. »

Quelques remarques:

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Que ce soit Jules de Laveaucoupet ou Paul de Ladmirault, dont on lit ces noms dans la lettre, ce sont des généraux du Second Empire aussi peu brillants face aux Prussiens en 1870 que particulièrement féroces quand il s’agit de réprimer la Commune de Paris, au moment de la Semaine Sanglante (21-28 mai 1871).

Car c’est bien des derniers instants de la Commune dont parle cette lettre quand l’auteure dit que « Paris brûle, tout au moins une partie ». Oui la partie est, autour du Père Lachaise où furent massacrés des milliers de Communeux.

Elle dit d’ailleurs « communeux » dans le lettre comme il est coutume de la dire à cette époque comme , suffixe déjà péjoratif mais beaucoup moins que celui qui le remplaça par la suite dans les manuels d’histoire: « communard ».

Manifestement toute cette noblesse avait fui Paris au moment des événements, du déclenchement de la Commune le 18 mars et la prise des canons par le peuple sur la butte Montmartre. Il semblerait toutefois que quelques membres de la famille de Ladmirault soient restés en ville, que des communeux les cherchaient mais qu’ils n’étaient pas aussi virulents que la presse versaillaise le disait en se contentant de la vague explication d’un concierge pour s’en aller.

En effet Ladmirault comme il est dit avait bien officié en Algérie (Kabylie) puis était  revenu en métropole pour prendre un commandement à Lille… avant la débâcle de 1870.

Deux autres lettres suivent celle-ci, du 3 juin et du 10 juillet. Dans cette dernière, l’auteure dit

« Ferdinand est parti lundi dernier pour Luchon, il a été content de savoir avant de nous quitter qu’Ernest Capillon avait été tiré de la bagarre par ton père, j’ai écrit à sa grand-mère pour lui dire que j’en étais contente aussi… »

Le général de Laveaucoupet aurait-il usé de son pouvoir pour sauver un communard de ses connaissances?

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Août 1944: Une jeune fille raconte la Libération de VALENCE (Drôme)

Il s’agit d’une lettre de 16 pages dans laquelle une jeune fille de 16-18 ans raconte les difficiles moments ayant précédé la Libération de la moyenne Vallée du Rhône à partir du 15 août 1944. En effet, les Allemands refluaient du Midi de la France depuis ce 15 août, date du débarquement de Provence. A des unités presque débandées s’ajoutait une PanzerDivision composée de combattants aguerris et dotée de matériel important. Les Américains décidèrent d’essayer de couper la route à ces troupes dans la région de Montélimar, où la vallée du Rhône est la plus étroite entre colline et fleuve,  en remontant rapidement par la route Napoléon puis en obliquant vers l’Ouest par la vallée de la Drôme. Les combats de la bataille de Montélimar (the Battle of Montelimar) furent violents et meurtriés mais la PanzerDivision réussit à passer. Plus au nord, Valence reçut quelques éclaboussures à partir du 15 août, meurtrières-surtout pour la population civile. C’est ce que raconte cette jeune fille. Je reproduis les 16 pages de sa lettre car tout y est intéressant.

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Valence le 9/9/44

My Dear friend

J’ai attendu pour t’écrire d’être rentrée dans ma chère ville de Valence libérée depuis le 31 août à 5h. du matin. Quand nous avons appris la Libération de Valence faite presque sans combat nous ne pouvions croire à un tel bonheur. Les maquisards nous avaient dit quelques jours auparavant que la prise de Valence serait dure car il y avait deux Etats Majors boches qui ne voulaient absolument pas se rendre et avaient ordonné à leurs troupes une résistance acharnée. Heureusement il n’en a rien été de tout cela ce qui a sauvé la ville. Ce sont les durs combats qui se sont déroulés dans le sud de la Drôme. Les Boches ont tenté un effort désespéré et se sont fait massacrer par milliers. Les Américains eux-mêmes ont subi  de très lourdes pertes , il paraît que même en Italie, ils n’avaient pas livré de si durs combats. Ils ont filmé la bataille de Marsanne pour l’envoyer en Amérique. Entre Montélimar et Livron, la route était jonchée de cadavres. Dans un champ près de Livron, les cadavres boches étaient empilés sur un mètre de haut. A un endroit, il y avait 78 pièces qui tiraient à la fois. Tu te représentes l’enfer que ça devait être. Les boches se voyant perdus se sont mis à fuir et les Valentinois avec la joie que tu devines, ont vu défiler pendant des jours et des nuits l’armée en déroute. Les Américains pour épargner la ville ne leur ont pas tiré dessus, se réservant de les battre plus loin. C’est ainsi que la ville a été épargnée. Quand l’armée allemande  a eu fini de défiler, les Américains accompagnés de FFI ont pénétré dans la ville et ont fait prisonnier les quelques boches qui s’y trouvaient encore . Pour cela, il a suffi de donner quelques coups de canons et tout est rentré dans l’ordre.
Lundi, il y a eu une grande fête à Valence. 4 000 FFI sous les ordres du lieutenant colonel Legrand ont défilé au Champ de Mars sous les acclamations de la foule. Il y avait quelques jeunes filles parmi les FFI entre autre J. Delpeuch qui a eu un de ses frères fusillé et sa mère arrêtée pendant un certain temps. On a fait aussi défiler devant les Valentinois certaines personnes un peu trop bien avec messieurs les boches, la tête rasée ces dames avaient paraît-il fière allure. Je regrette bien de n’avoir pas pu assister à la cérémonie. Je suis malheureusement rentrée de la campagne que depuis hier matin. Depuis le 15 août, ça m’a fait trois semaines de vacances mais je m’en serais bien passé. j’espère bien ne plus en avoir de pareilles. D’autre part nous nous sommes fait un mauvais sang fou au sujet de Valence. Nous voyions la ville rasée et mon père et mes grands-parents tués et d’autre part, nous étions nous-mêmes loin d’être en sécurité. Ce que nous savions c’est que nous n’étions pas prisonniers comme à Valence, nous avions la possibilité de fuir les combats. D’ailleurs, je crois que si j’étais restée à Valence après la frayeur que j’ai eu le 15 août, je serais devenue folle. Je n’aurais pas pu supporter d’entendre sonner la sirène. Valence a été bombardée le 18 août pour couper le pont qui avait été manqué le jour du 15 août. Ce sont les dernières arches près de Granges qui ont été démolies mais il est tombé des bombes sur les deux rives. Le moulin qui se trouvait sur le quai du Rhône a été complètement détruit et il est tombé beaucoup de bombes au parc. La partie située près du Rhône est méconnaissable, il y avait des entonnoirs où des maisons entières auraient pu être englouties car c’étaient des bombes de 3 000kg. La preuve Eliette Epic a été tuée aux Granges.  Les Bourne ont passé près car il y a eu deux maisons de démoli tout près de chez eux.

On m’a appris aussi la mort de G. Veillet et de son père survenue lors du bombardement de mon quartier le 15 août. Le père de M. Lévy a été tué aussi. Il peut y avoir aussi d’autres personnes que nous connaissons car je n’ai malheureusement pas pu voir la liste des victimes. Le bombardement le plus meurtrier, celui du 15 août, a fait plus de 500 morts et on a retiré 500 corps des décombres. Mais il y a beaucoup de gens que l’on n’a pas retrouvé. Quand je t’ai écrit, je n’avais pas encore beaucoup de précision sur les dégâts car j’ai quitté Valence le plus rapidement possible (l’alerte n’était pas encore terminée) mais ce qu’on m’avait dit n’était malheureusement pas exagéré. Entre Autun (merci M.Manifacier pour les précisions à lire dans les commentaires- NDLR) et la Mairie, des rues entières sont démolies, la préfecture a brûlé entièrement, une grande partie de l’hôpital a été détruite, la salle des fêtes n’a pas été touchée mais c’est comme pour la mairie, presque un miracle car les maisons voisines n’existent plus. De la fenêtre de notre petite salle à manger, nous avons une vue générale sur les ruines qui ne sont malheureusement pas aussi belles que celles de l’Acropole. Les 3 maisons du bureau de tabac, du marchand de TSF et du matelassier qui ne sont pas à plus de 6 mètres de chez nous, tu te souviens comme la rue est étroite, ne sont plus qu’un amas de décombres. La rue Farnerie est détruite, la pension où allait Mme Anney n’existe plus, les deux demoiselles qui la tenaient, leur bonne et 2 ou 3 pensionnaires ont été tués. Comme tu le vois, Valence qui avait été épargnée pendant longtemps a fini par payer un tribut à la guerre, un lourd tribut car je ne t’ai pas encore tout raconté. Le bouquet, ça était l’explosion du 29 août. Ces messieurs les boches se voyant perdu ont conçu le charitable projet  de détruire les Valentinois avant de les quitter sans doute pour les remercier de leur hospitalité. Pour cela, ils n’ont rien trouvé de mieux que de faire sauter leurs explosifs qui se trouvaient dans un train qui s’étendait depuis le pont de la Cécile jusqu’à la Palla, non loin de chez mes grands-parents. Il paraît que les explosifs auxquels ils ont mis le feu étaient de la nitro-glycérine, le plus fort explosif qui existe, pire que la dynamite. Aussi tu te rends compte de l’effet produit. Des quartiers entiers situés près de la voie ferré ont été détruits. On se perd au milieu des décombres. On ne peut plus reconnaître les rues. Par miracle, il n’y a eu qu’une quarantaine de morts et environ 200 blessés. On peut dire que c’est providentiel, étant donné l’étendue des dégâts.

Beaucoup de gens ont vu tomber leurs cloisons même leur toit et n’ont pas été blessé. J. Charrier m’a dit que sa maison était inhabitable, elle a passé à travers son plafond, tu te rends compte de la frayeur qu’elle a dû avoir. H. Nougier avait été blessée mais légèrement, je l’ai rencontrée hier dans la rue. Mes grands-parents ont passé près, ils ont eu leur toit abîmé, plusieurs portes et volets arrachés, il y a une cloison qui est tombée sur le lit de ma grand-mère. C’était à 1h. de l’après-midi que l’explosion a eu lieu et ma grand-mère a l’habitude de se reposer sur son lit après son déjeuner. Heureusement qu’elle ne s’y trouvait pas à ce moment-là. Quant à mon grand-père, il était dans son jardin où l’on a trouvé de gros morceaux re rail et de gros blocs de pierre provenant de la maison voisine, une vieille masure pas solide qui s’est effondrée à moitié et où les gens n’ont rien eu. Inutile de dire que les trois quarts de la ville sont sans carreaux car l’explosion a eu des répercussions très loin. Chez les demoiselles Chatelain, il est tombé un morceau de cloison et pourtant elles habitent loin du lieu de la catastrophe. A la mairie, les fenêtres se sont ouvertes? Si les vitres ne se sont pas cassées, c’est qu’elles l’étaient déjà. Depuis mercredi, on nous a posé des vitres à une fenêtre par pièce, les autres fenêtres ont été bouchées avec des planches. Pour le moment, on se contente de fermer les volets, nous n’y verrons pas très clair. Cet hiver, il faudra allumer l’électricité de bonne heure mais nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Si nous étions tentés de le faire, il n’y aurait qu’à aller faire un petit tour à la Cécile ou même dans notre quartier… les habitants de ces immeubles changeraient bien leur sort pour le nôtre. Et encore ce ne sont pas ces gens que je plains vraiment, ce sont ceux qui ont perdu des membres de leur famille. Quand on est en vie, même que l’on soit dans le dénuement le plus complet, on n’a pas le droit de se plaindre. Qu’est-ce tout cela en comparaison de tous ces jeunes qui ont été fusillés, ces victimes des bombardements morts à la veille de la Libération. Quand on pense à toutes ces victimes, la joie actuelle en est un peu assombrie.

Il y a surement une dizaine de jours, les boches ont brûlé deux maisons à La Baume-Cornillane et fusillé 10 jeunes. Ils étaient venus installer une pièce et se sont battus avec les maquisards? Nous entendions la mitrailleuse. Ils se sont avancés près de notre hameau. Il n’y avait plus qu’un ravin qui nous en séparait. Quand nous avons vu ça, maman et moi sommes parties dans le bois. Tous les gens réfugiés comme nous, qui n’avaient pas de ferme à garder en ont fait de même. Personne ne tenait à rester avec ces messieurs. Heureusement les Américains approchaient. A ce moment-là aussi ces messieurs n’ont aps osé s’approcher plus loin et ont regagné Valence précipitamment. Il était temps pour eux car le lendemain, nous étions avec les Américains. Ce jour-là, nous avons eu encore une émotion: les Boches cantonnés au plateau des Beaumes tiraient sur les batteries américaines installées dans un bois près de chez nous. Nous entendions siffler les obus. Je dois t’avouer que je me suis crue perdue pour le reste. Je n’étais pas la seule. Les gens n’en menaient pas large. Heureusement, les Américains n’ont pas riposté et ces messieurs voyant qu’ils travaillaient en pure perte ont cessé le feu. Si on s’était vraiment battu à Valence, nous aurions été obligés de fuir dans les montagnes car nous aurions reçu les obus boches. Depis le 15 août jusqu’à la Libération, nous n’avons pas connu un moment de tranquillité. Les premiers jours de notre arrivée, le pays était infecté de DCA et comme il ne faisait que passer des bombardiers, elle tapait sans arrêt si bien qu’on n’osait pas sortir. Le dimanche après le 15 août, nous avons été terrifiés, nous sommes allées nous réfugier dans une cave car il a passé 66 bombardiers au-dessus de nos têtes et la DCA ne s’est pas arrêtée de taper pendant 20 minutes. Nous avions peur qu’elle finisse pas toucher quelque avion et qu’il nous déverse ses bombes dessus. Plusieurs personnes étaient montées sur une colline pour mieux voir, ils étaient persuadés qu’ils e craignaient rien car ils étaient à l’abri sous des arbres. Tu penses si ça protégeait contre les éclats de DCA et les avions n’allaient pas leur lâcher les bombes dessus. Il est certain qu’ils n’allaient pas le faire volontairement mais s’ils avaient été atteints, ils auraient bien été obligés de les déverser et sur un nombre pareil d’avions, il y avait des chances pour qu’au moins un avion soit atteint. Heureusement, cela ne s’est pas produit mais aurait bien pu se produire. Il arriverait moins d’accident si les gens étaient un peu plus prudents. Je ne sais pas si les événements en étaient la cause mais  ces derniers temps, les gens étaient devenus complètement inconscients. Ils étaient environnés de tant de dangers qu’ils ne faisaient plus attention. Je vais te raconter le bel exploit de mon père le jour du 15 août. Quand la sirène s’est mise à sonner, les avions étaient déjà là et la DCA s’est mise à taper. Mes parents m’ont dit « descends vite, nous te suivons ». Ma mère s’est vite dépêchée de fermer les volets et a recommandé à mon père de l’aider. Quand elle pénètre dans la salle à manger, est-ce qu’elle ne voit pas mon père qui avait ouvert toute grande la fenêtre et passait sa tête bien dehors pour contempler un avion qui volait très bas et à ce moment-là la DCA tapait. Maman lui dit « tu n’y es plus, tu vas te faire tirer ». A peine mon père avait-il fermé la fenêtre que l’avion qu’il contemplait lâche ses bombes sur la Préfecure. Mes parents ont été pris comme dans une tempête et se sont accrochés à la porte pour ne pas tomber, puis ils sont descendus sans perdre de temps à l’abri. C’était le moment car quelques instants après, les bombes tombaient dans notre rue et là, ils auraient été tués par le souffle. Il faut assister à un bombardement pour se rendre compte de l’imprudence que l’on commet en négligeant de descendre à l’abri sitôt que la sirène sonne. Enfin heureusement que tout cela a pris fin. Mon journal du front se termine. Je vais te raconter maintenant des histoires plus réjouissantes, c’est-à-dire mon entrevue avec les Américains.

Le jour de la Libération de Valence, deux Américains sont veus se promener dans notre hameau. Un de nos voisins leur a offert à goûter mais ils ont eu de la difficulté à se comprendre. Malheureusement je n’étais pas là car j’aurais pu leur parler sans me faire moquer de moi car les gens n’auraient pas compris si le leur avais dit des bêtises. Deux jours après, nous sommes allés voir à Montvendre une amie de maman et ses enfants ont amenés 3 Américains au moment où nous y étions. Je n’ai pas osé leur parler mais j’ai bien compris ce qu’on leur disait et ce qu’ils disaient. L’un était assureur, l’autre s’occupait des vedettes et vivait à San Francisco. Quant au 3ème, il bâtissait des maisons, traduis-le comme tu voudras. Quant à moi, je pense qu’il devait être architecte. Je dois t’avouer que tous les 3 étaient extrêmement sympathiques mais j’avais vraiment le béguin pour le bâtisseur de maisons. IL est impossible de trouver visage plus agréable. J’aurais voulu que tu vois son expression. Il était certainement protestant et même peut-être un descendant des Puritains. Maman elle-même a reconnu que quand on a un tel visage, on ne peut avoir qu’une belle âme. Tu dois te dire « cette pauvre Christiane est en train de divaguer, les émotions qu’elle a reçu lui ont atteint le cerveau », il n’en est rien rassure-toi, on se remet vite quand on voit l’allégresse qui règne dans Valence. On se frotte les yeux pour se demander si on ne rêve pas en voyant toutes les maisons pavoisées, les rues sont pleines de monde et de troupes. Sur les boulevards et dans l’avenue Victor Hugo, on n’ose plus traverser de peur de se faire écraser. La Croix d’Or est toute couverte de drapeaux et devant la porte, on voit 3 canons qui sont des trophées pris à l’ennemi. Les élèves du collège se promènent avec les Américains et baragouinent tant bien que mal. C’est dommage que tu ne sois pas avec moi car nous essayerions nous aussi de parler. Mlle Chatealin me dit que je devrais leur parler mais tu ne me vois pas les arrêtant. Lucie n’ose pas non plus. Aux Américains se mêlent des soldats français que l’on a des peines à distinguer des autres. Les hôtels autrefois garnis de verdure sont remplis maintenant d’une foule de personnages habillés de kaki dont la vue est un peu plus réconfortante. Les soldats sont entourés d’une nuée de gosses qui elu mendient des bonbons. Le collège est occupé par les troupes. Il paraît  qu’ils ont installé un grand fourneau au milieu du hall et quand on y pénètre, on sent une odeur appétissante. Certainement on ne rentrera pas de sitôt car même morsque les troupes seront parties, il aura besoin de sérieuses réparations. Les vitres sont toutes cassées et plusieurs cloisons risqueraient de tomber sur les professeurs et les élèves. Je recommence à travailler, on pense que le bac ne sera pas avant le mois de novembre. J’en ai bien besoin car il me semble que j’ai tout oublié. Inutile de te dire que depuis le 15 août, je n’avais pas ouvert un livre et même depuis le début août avec les alertes continuelles, je ne pouvais pas travailler.

J’ai oublié de te dire que les Américains s’étonnent beaucoup que les femmes ne votent pas en france. Chez eux, elles votent à partir de 18 ans et les hommes seulement à partir de 21 ans. J’espère bien qu’on va aussi instituer ce régime en France. Les femmes le méritent bien car il y en a qui ont vraiment aidé  à sauver la France en étant agent de liaison, ce serait que leur rendre justice.
Il est temps que je termine ma lettre si je ne veux pas te faire payer une taxe pour être trop lourde.
J’attends impatiemment une longue lettre. Bien des choses à ta soeur.
Affectionnately,

Christiane

Ouf! un peu long mais ça en vaut la lecture. Une vraiment très longue lettre qui m’a fait penser tout de suite, la première fois, aux textes du journal d’Anne Frank. Outre le fait que c’est bien raconté (la jeune fille aurait dû certainement passer le bac en juin 44, lequel bac avait été reporté), tout ce qu’elle dit est d’une grande valeur historique et comme dans le journal d’AF, on retrouve les premiers émois de jeune fille à la vue des Américains et des considérations féministes.

Tout y est: les bombardements US pour détruire les ponts sur le Rhône et freiner le repli allemand, bombardements qui comm e à Avignon, firent de nombreuses victimes civiles, la Libération de Valence sans combat et les parades qui suivirent, les femmes tondues, l’explosion d’un train de munitions, des escarmouches au pied du Vercors, des maquisards exécutés par les Allemands, les destructions de guerre et les victimes civiles.

Le nombre des morts a été un peu surévalué (280 morts et 200 blessés le 15 août; 16 morts et des centaines de blessés pour l’explosion du train de nitro). Quant aux maquisards fusillés dans le secteur de la Baume-Cornillane, je ne vois pas pour l’heure de quel événement il s’agit. La Croix d’Or est un hôtel devant lequel on posa des trophées de guerre, de canons pris à l’ennemi.

Arlette, la mère de la belle-soeur My., a lu cette lettre avec émotion et a retrouvé tout ce qu’elle avait vécu, jeune de fille de 13 ans en 1944 (un peu plus jeune que Christiane) habitante de Bourg-les-Valence, proche de l’actuelle préfecture donc très près de la zone bombardée. Elle a ajouté: « j’aurais pu écrire cette lettre! »

Une grande page d’Histoire valentinoise dans la grande Histoire.

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