CARNET de VOYAGE en ESPAGNE en 1906

Il s’agit d’un gros cahier d’écolier narrant un voyage en Espagne d’un couple de français, certainement très aisés, participant à un voyage en groupe organisé. Un voyage du 4 au 28 avril 1906 dans une Espagne beaucoup plus pauvre que celle d’aujourd’hui.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Le touriste du début du XXème siècle a décoré son cahier d’illustrations découpées dans des magazines et de lithographies assez intéressantes. Il a intitulé son cahier « Notes de voyage-Excursion en Espagne ». Le style de l’écriture est simple et correct mais la calligraphie est quelquefois difficile à suivre.

Les étapes du voyage: Saint-Sébastien, Burgos, Madrid, Cordoue, Séville, Malaga, Grenade, Tolède, Saragosse et Barcelone.

Quand j’ai trouvé ce document, j’ai tout de suite cherché si Henry Susane (c’est ainsi qu’il a signé son oeuvre) était allé voir une corrida, spectacle beaucoup plus sanglant à l’époque que de nos jours. Et Séville où il était pour le dimanche de Pâques était le lieu idéal pour s’initier à ce spectacle. Exactement, une corrida était prévue au programme des touristes. Voilà ce qu’il écrit:

« Il fallait se hâter pour arriver à la Plaza de Toros où les places nous étaient réservées. Les courses du dimanche de Pâques ont la réputation d’être les plus belles de l’année tant par la valeur des toreros que par l’affluence des gens de qualité et des étrangers. Nous arrivons pour apprendre que les courses n’auront pas lieu. Les toreros font grève comme de simples menuisiers (?). Il paraît que ces messieurs ne veulent pas se soumettre à une Ordonnance nouvelle qui oblige les picadors à se servir d’une lance à pointe courte qui, pénétrant moins dans les chairs du taureau, rend le travail plus dangereux et ménage davantage la bête qui reste plus vigoureuse en face de l’espada…. »

Une grève des matadors en 1906, c’est intéressant.

C’est donc un peu plus tard dans le circuit, à Saragosse, que les touristes vont découvrir ce spectacle. Henry est un peu déçu des tenues moins « indigènes » qu’il attendait. Autre surprise, la foule se promène sur la piste avant la corrida et ne regagne ses places qu’au moment où une trompette donne le signal.

« La porte du toril s’ouvre à mon grand étonnement alors qu’il reste bien dans l’arène une centaine de gamins et qu’on n’a pas aperçu le cortège des toreros qui précède toujours l’arrivée du taureau. Et comme nous retenions notre respiration et prenions une attitude  ferme, une vache ahurie fait son entrée et reste figée à dix mètres du toril. »

En effet, avant la corrida, deux courses récréatives avec une vache auront lieu pour les gamins.

L’auteur décrit ensuite le paseo et résume rapidement comment se déroule une corrida. Il va par contre longuement commenter le spectacle en faisant part de ses observations personnelles.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Tout en reconnaissant le courage du picador qui risque d’être écrasé par le cheval ou encorné par le taureau, il s’apitoie sur le sort des chevaux qui, à l’époque, n’étaient pas caparaçonnés. « Tel qu’il est c’est un condamné à mort. Le coup de corne du taureau est inévitable et le voilà soulevé, embroché par son adversaire qui le secoue et le précipite à terre le ventre troué. Une cascade de sang rouge inonde la piste. Si le cheval ne se redresse pas de lui-même, on le redresse en le soulevant par la tête et par la queue; et contraint, labouré de coups d’éperons, il traverse le cirque en traînant ses entrailles dans lesquelles il empêtre ses sabots et trébuche lamentablement, jusqu’à ce qu’un second coup de corne l’étende définitivement, pantelant, agonisant et mort, comme vidé, aplati, écrasé… »

D’ailleurs dans le bilan de la journée, un peu plus loin, il dit: « quatre taureaux tués, neuf chevaux tués, trois éventrés et recousus, un picador légèrement éclopé… »

Pour les banderilleros, il reconnaît « leur audace, leur agilité et leur adresse » mais il « plaint le malheureux animal soumis à une torture barbare et lorsque les bourreaux l’abandonnent, il ruisselle de sang ».

De même pour l’espada, il « reconnaît aussi que le matador doit être doué de sang froid, de courage, d’habileté et de vigueur… il risque sa peau… et son geste est élégant » malgré « tout ce que ce spectacle a de violent et de barbare… »

Il est aussi « impressionné peu favorablement » par l’attitude du public et « son enthousiasme, son délire et sa colère contre les toreros et le taureau ». Il l’explique du fait que « l’Espagnol est doué d’une cruauté inconsciente qui serait la résultante des oppressions dont sa race a été victime… des horreurs de l’Inquisition… laissant indifférent devant la douleur et le sang répandu ». Il généralise enfin en affirmant que toutes les foules peuvent devenir féroces malgré « l’instruction, l’éducation et les doctrines humanitaires ». Il pense que si « les combats de taureaux étaient autorisés chez nous… vous verriez » (sous entendu la même attitude. Et un peu de politique pour finir « Quant aux horreurs de l’Inquisition, n’en parlons plus si nous ne voulons pas qu’on nous rappelle les journées de septembre 1792 et celle de mai 1871 ». Pour 1871 est-ce le massacre de 7 religieux  par les Communeux ou l’écrasement de la Commune par les Versaillais et les dizaines de milliers de fusillés au Père-Lachaise?

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Voici un tout petit extrait de ce carnet de voyage. Les 142 pages du texte sont vraiment très intéressantes, quelques longueurs certes, quelques lieux communs et préjugés gênants sur les Espagnols et les Espagnoles mais il décrit assez justement un pays (en tout cas celui que les touristes ont vu) tel qu’il était il y a 110 ans.

Poster un commentaire

Classé dans Vieux papiers

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.