Archives quotidiennes : 17/03/2015

Une LETTRE d’un ÉTUDIANT PARISIEN relatant l’EMEUTE du 6 FÉVRIER 1934…

… le jour où la République vacilla !

Il écrit de SAMSUNG CAMERA PICTURES soit le lendemain des événements. Il ne s’agit pas réellement d’une lettre mais plutôt d’une copie d’une lettre envoyée à un ami faisant du ski à la montagne et dont il dit plaindre son attitude loin de ce qui fait l’actualité en février 1934.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Ce qui lui permet ce jeu de mot qu’il juge déplorable: je ne désire nullement goûter aux joies du ski: les joies du Stavisky me suffisent. En référence à cette affaire Stavisky, ce scandale politico-financier-crapuleux dont l’Extrême Droite et les Ligues d’Anciens Combattants s’emparèrent pour essayer de mettre à bas la Gueuse.

Voici les moments de la manifestation qu’il décrit en détail, se sentant proche de ce mouvement. Après tout, l’A.R.A.C. dont on parlera dans quelques jours, proche du P.C.F. appela à manifester également le 6 février aux côtés de l’U.N.C. très marquée à droite. La solidarité des tranchées…

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Devant cet acte révoltant les organisations se soulevèrent. Une grande manifestation fut prévue pour le mardi, jour où le ministère se présentait devant la Chambre, manifestation organisée par les Anciens Combattants, les Jeunesses patriotiques, les contribuables, l’Action Française; les élus municipaux firent appel à la population. Le départ du Préfet fut l’objet d’une manifestation spontanée de tout le personnel de la Préfecture et des Parisiens. 

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Le mardi à 6 heures (lire 18 heures) je suis allé sur les boulevards: place de l’Opéra, la foule stationnait, attendant. Tous les carrefours étaient noirs de monde. Boulevard Sébastopol, la manifestation avait commencé: les bancs, les arbres, les baraques, les grilles des arbres étaient traînés au milieu de la rue, formant des barricades. Au Châtelet, les gardes à cheval nous chargèrent sans parvenir à disperser la foule qui hurlait en choeur.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

A 10h30 (22H30), je suis ressorti, allant vers la Madeleine. La foule formait des groupes et j’appris, sans vouloir y croire que les Gardes Mobiles avaient tiré sur elle. Boulevard Malherbes, il y avait trois bûchers qui flambaient. On emmenait des blessés vers les voitures particulières (nous sommes en pleine grève des taxis depuis 8 jours). La foule les acclamait et hurlait « Assassins » à l’adresse des Gardes Mobiles massés silencieusement devant la Madeleine. A ce moment, les Anciens Combattants arrivaient par la rue Royale venant de la Concorde.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Trois drapeaux étaient en tête, l’un des porte-drapeau avait un pansement sanglant sur la tête. Nous marchâmes vers l’Opéra (une foule de 50 000 personnes envahit le Matin) en chantant la Marseillaise et le Ça Ira, aux cris de « Démission », Daladier assassin », « Daladier au poteau ». Un barrage d’agents qui barrait les boulevards, place de l’Opéra, s’ouvrit spontanément cependant que nous criions « Vive Chiappe » et « La Police avec nous ». Si elle n’était pas avec nous, en tout cas, elle n’a pas été contre nous et son attitude pendant l’émeute a fortifié sa popularité. Nous allâmes ainsi jusqu’à la République, puis nous fîmes demi-tour vers la Chambre.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

Tous les barrages d’agents s’ouvrirent et nous regardèrent passer sans intervenir. Mais la Garde Républicaine (à cheval) était en place à la Concorde et chargea aussitôt; les manifestants se désunirent mais avancèrent, repoussant les gardes . Contre les charges suivantes, les gens se réfugiaient dans les bassin de la place (ils étaient à sec). La charge se faisait d’un côté; les manifestants cavalaient de l’autre et lançaient sur les gardes des pierres et des morceaux de bitume. Le service d’ordre fut repoussé jusqu’au pont. C’est à ce moment que l’on entendit des coups de feu, les chevaux s’étant brusquement écartés.

SAMSUNG CAMERA PICTURES

J’étais alors sur le pont, sur le côté droit, le long du mur qui qui borde la Seine que les manifestants enjambaient pour se mettre à l’abrides charges quand elles arrivaient. Il n’y avait pas eu de sommations (il paraît qu’il en avait été faites lors du premier assaut mené par les Croix de Feu, drapeau en tête, vers 8h30-22h30) et il était alors 11h30 (23h30). Personne ne comprit ce qui se passait. On disait « Ils tirent à blanc » néanmoins tout le monde refluait, courbé, presque à quatre pattes, …

SAMSUNG CAMERA PICTURES

le long du mur. C’est à ce moment qu’on vit tomber une femme, une balle dans la cuisse. Plus loin, il y avait d’autres formes  à terre. Les gens serraient les poings de rageet d’indignation, s’ils avaient été armés, le service d’ordre eut été instantanément balayé, les gardes mobiles jetés à la Seine. Impuissants, les manifestants restaient sur la place. Deux carcasses d’autobus achevaient de flamber. Devant les Tuileries se tenait l’Infanterie Coloniale(et Frot avait démenti qu’un appel ait été fait aux troupes). Il était minuit dix, je quittais la place. Chiappe n’avait pas une goutte de sang sur les mains, pour ses débuts, Frot et Bonnefoy-Sibour en avaient les mains couvertes.

La narration s’arrête là. Les Ligues fascistes n’étaient pas parvenues à prendre le Palais Bourbon et faire tomber la République. Ce que n’a pas vu l’auteur du texte, ce sont les cannes des Anciens Combattants munies de rasoir à leur extrémité pour couper les jarrets des chevaux et faire chuter les gardes républicains. Le bilan de l’émeute fut de 14 à 16 morts chez les manifestants et 657 blessés. Dans les rangs des forces de l’ordre, on releva 1 mort et 1 664 blessés (policiers, sapeurs pompiers, gardes mobiles, Gardes Républicains, gendarmes).

Les conséquences du 6 février 1934: la mise en place d’un gouvernement d’Unité Nationale proposé par Daladier. Puis, face à la menace fasciste, le début de l’union des forces de gauche qui aboutit à l’élection d’un gouvernement de Front Populaire 2 ans plus tard.
Quant à l’auteur de ces lignes, ces errances de jeunesse prient certainement fin avec cette élection puisqu’on le retrouvera responsable d’un cellule du Parti Communiste et plus tard, en août 1944, un des responsables de l’Insurrection  Nationale pour libérer Paris du joug nazi. Ce sont les tracts et journaux clandestins qu’il a soigneusement gardés datant des années 1942 et 1944 qui seront bientôt présentés.

A noter Frot est le ministre de l’Intérieur le jour de l’émeute; Chiappe le Préfet de Paris démissionné et Bonnefoy-Sibour le nouveau Préfet.

3 Commentaires

Classé dans Vieux papiers