Eulalio Ferrer est un républicain espagnol, natif de Santander, réfugié en 1940 au Mexique où il fit carrière et devint un grand publiciste reconnu aux Etats-Unis. Il raconta son passage dans les camps français de la Retirada par l’écriture d’un journal qui fut publié en France sous le titre Derrière les Barbelés chez L’interdisciplinaire, une maison d’édition de Limonest, en 1993. Suite…
20 novembre 1939.
Le camp est passé à l’heure d’hiver. Pas seulement à l’heure d’ailleurs, puisque c’est l’hiver qui est là. Vent du nord-est violent, neige sur les sommets des Pyrénées, vagues de la mer et sable qui aveugle dès que les hommes sortent.
Beaucoup vont mal. Tino le boxeur souffre pour son frère en prison en Espagne. Balsa est fou de colère. Sa femme d’origine aisée rentre à Barcelone avec ses enfants à la demande de sa famille. Il ne peut s’y opposer.
Carmona le frivole, qui lit par dessus l’épaule d’Eulalio quand celui-ci écrit, le force à s’interroger sur sa jeunesse. Réflexion faite, pour ses 20 premières années, c’est le temps qui a dominé Eulalio. Il décide que pour les 20 années qui arrivent, ce sera l’inverse.
Amélioration des services du camp. Pour remplacer le « quartier chinois » fermé, un économat officiel est ouvert près de l’entrée, en extérieur qui propose nourriture et objets pour la toilette. Une bibliothèque y est adjointe. Eulalio s’empresse de s’inscrire même si c’est pour rien car il ne lit qu’un seul livre, Don Quichotte.
Pour défier le temps, une baraque voisine a organisé une partie d’échecs entre un avocat d’Alicante qui n’a perdu aucun de ses 33 rencontres précédentes et un officier de cavalerie. La partie va durer 24 heures et l’avocat en sortira encore vainqueur.
Le spécialiste des départs des Compagnies de Travail est optimiste. Les 138 et 139èmes sont parties. Pour lui, ce sera bientôt le tour de celle d’Eulalio.
La nuit tombe, le vent s’est calmé.